Le comptage sur les doigts : un support arithmétique à décourager ou à enseigner ?
Type de référence
Date
2020Langue de la référence
FrançaisRésumé
Dans de très nombreuses cultures, les jeunes enfants utilisent spontanément leurs doigts avant d’acquérir des compétences mathématiques plus formelles, que ce soit pour pointer des éléments à dénombrer, pour communiquer une quantité à autrui ou pour réaliser des calculs simples (Seron & Crollen, 2018). Concernant plus particulièrement leur fonction de support à des procédures arithmétiques de comptage, des avis contrastés sont émis dans la littérature quant au caractère bénéfique de ces levées ou abaissements ordonnés de doigts (Moeller, Martignon, Wessolowski, Engel, & Nuerk, 2011). Si pour certains auteurs ceux-ci sont à décourager (Brissiaud, 2005), il s’agit pour d’autres de les enseigner, ce en intervention de 2ème voire de 1er niveau en référence au modèle de réponse à l’intervention (Dyson, Jordan, & Glutting, 2013; Fuchs & Fuchs, 2006; Ollivier, Noël, Legrand, & Bonneton-Botté, 2019).
Du point de vue de la didactique des mathématiques, le comptage digital est perçu comme un support à un outil arithmétique certes habituel chez les jeunes enfants mais limitant la représentation des nombres à des séquences d’unités et risquant d’empêcher le passage à des stratégies arithmétiques plus élaborées (Moeller et al., 2011). Il est dès lors préconisé de laisser les jeunes élèves utiliser leurs doigts comme support de comptage mais de les inciter à abandonner cette stratégie vers la fin de la première année primaire pour les encourager à passer à des représentations concrètes structurées et finalement intériorisées (Brissiaud, 2005). Il s’agit d’encourager les élèves à développer des stratégies arithmétiques flexibles, reposant sur la décomposition et donc, notamment, sur les propriétés associative et commutative de l’addition. Concrètement, il s’agit pour les élèves de comprendre que 7+8 peut autant se résoudre en faisant 7+3+5 que 7+7+1 que 5+2+5+3. S’il est recommandé que ces stratégies de décomposition soient utilisées de façon automatisées par les élèves, ces automatismes ne devraient pas provenir d’une mémorisation mais bien de manipulations tant actives que mentales. Une utilisation trop systématique du comptage digital, et donc le risque de difficultés à s’en débarrasser, sont alors vus comme des sources possibles d’erreurs de calculs persistant en 2ème année primaire.
Le comptage digital a suscité un regain d’intérêt ces 30 dernières années du côté de la psychologie cognitive, notamment en lien avec le développement des connaissances sur la dyscalculie (Moeller et al., 2011). Dans cette perspective, une première série de travaux considère l’utilisation fréquente et durable de ce support arithmétique comme une caractéristique des élèves présentant une dyscalculie (Geary, 1990). Ces élèves éprouvent des difficultés importantes à utiliser différents stratégies et supports arithmétiques de manière flexible, utilisant à l’inverse de façon prédominante voire rigide des stratégies de comptage fréquemment associées au support des doigts (Ostad, 1997). Certains auteurs recommandent donc d’intensifier auprès de ces élèves la compréhension de la composition des nombres (8=7+1, 5+3, 3+5…), ce à travers un autre type de représentation concrète et structurée susceptible d’encourager la compréhension de la valeur cardinale et de la décomposition des nombres (Moeller et al., 2011). Toutefois, d’autres études ont montré que si les élèves dyscalculiques utilisent en effet plus de comptage digital sur des additions simples (sommes inférieures ou égales à 10), ils en utilisent au contraire moins pour des additions un peu plus complexes, faute de parvenir à utiliser efficacement ce support pour ce type de calculs (de Chambrier, 2018 ; Geary, Hoard, Byrd-Craven, & Desoto, 2004). Par ailleurs, une autre série de travaux met en évidence des liens fonctionnels et positifs entre l’utilisation des doigts et la cognition numérique. Dans cette lignée de travaux, qui s’inscrit dans le champs de la « cognition incarnée » (embodied cognition), les représentations digitales sont considérées comme un support privilégié sous-tendant le concept de nombre. Le comptage sur les doigts représente en effet une entrée multisensorielle qui véhicule des informations tant sur l’aspect cardinal qu’ordinal des nombres. La mobilisation des doigts ou du moins la représentation mentale de ceux-ci ne se limiterait pas aux premiers apprentissages arithmétiques puisqu’elle influencerait encore des procédures utilisées par les adultes (Domahs, Krinzinger, & Willmes, 2008). Des corrélats entre les zones cérébrales dédiées aux représentations des doigts et celles dédiées aux nombres ont été établis par des données en neuroimagerie (Kaufmann et al., 2008). Des travaux longitudinaux ont quant à eux mis en évidence qu’en début d’apprentissage, une plus grande fréquence d’utilisation du comptage digital était associée à de meilleures performances arithmétiques (Jordan, Kaplan, Ramineni, & Locuniak, 2008) et à de meilleures compétences en mémoire de travail (Dupont-Boime & Thevenot, 2018).
Ces différentes sources de données ont conduit certains auteurs à tester l’effet d’entraînements à l’utilisation des doigts auprès de jeunes élèves. Certaines de ces interventions ont porté uniquement sur les gnosies digitales, c’est-à-dire l’aptitude à reconnaître à l’aveugle quels doigts sont touchés par autrui, ce auprès d’élèves de 1ère primaire (Gracia-Bafalluy & Noël, 2008). D’autres auteurs ont opté pour un entraînement des gnosies digitales, des représentations de quantités sur les doigts et du comptage digital, mené par l’enseignant auprès de tous les élèves de sa classe de 2ème enfantine (5-6 ans), c’est-à-dire en intervention de niveau 1 (Ollivier et al., 2019). D’autres auteurs encore ont intégré des activités de comptage et de représentations rapides de quantités sur les doigts à un programme visant le développement de compétences numériques plus larges, mis en place auprès d’élèves « à risque » réunis par groupes de quatre, c’est-à-dire en intervention de niveau 2 (Dyson et al., 2013). Si les effets de ces différentes interventions se sont avérés positifs, elles n’ont pas toutes la même portée du point de vue pédagogique.
La présente communication propose de faire une revue des principaux points de vue et travaux relatifs au caractère bénéfique ou préjudiciable de l’utilisation des doigts en tant que support arithmétique. Il s’agira notamment de discuter de la pertinence d’entraîner des élèves de l’école enfantine (5 à 6 ans) à utiliser le comptage digital, cas échéant en intervention de niveau 1 ou 2. Des recommandations pédagogiques seront également dégagées pour les élèves de 6 à 8 ans selon qu’ils rencontrent ou non des difficultés d’apprentissage en mathématiques.
Nom de la manifestation
Colloque DidactifenDate(s) de la manifestation
7-8 juillet 2020Ville de la manifestation
LiègePays de la manifestation
BelgiqueParticipation sur invitation
ouiURL permanente ORFEE
http://hdl.handle.net/20.500.12162/4596- Tout ORFEE
- Détail référence